Salomon une figure fascinante et ambiguë - 1 par Roland Benz et Blaise Menu

Salomon une figure fascinante et ambiguë                        Texte pdf

Animation : Blaise Menu et Roland Benz

 

Ma parole – série d’études bibliques –

13-20-27 septembre 2023 – temple de Plan-les-Ouates

Chapitre 1 (13 septembre)

 

La vie de Salomon dans son contexte historique et biblique par Roland Benz

 

Quelques repères chronologiques :

1040-1010           Samuel prophète et juge

1030-1010           Saül roi d’Israël

1010-970              David, roi sur Juda, puis roi sur Juda et Israël ; création du royaume uni

970-env 933        Salomon roi sur Juda-Israël –

933                        A la mort de Salomon, schisme entre le royaume du Nord, nommé Israël,

avec Samarie comme capitale, et le royaume de Juda, avec pour capitale Jérusalem.

933-722 19           rois se succèdent dans le royaume d’Israël

933-587 21           rois se succèdent dans le royaume de Juda

722                        Fin du Royaume d’Israël envahi par les Assyriens (avec Ninive capitale)

640-609                Réforme du roi Josias

587                         Invasion de Juda par Babylone, destruction de Jérusalem, exil à Babylone,

538                        Début du retour des exilés sous Cyrus, empereur perse

520-515                 Reconstruction du Temple par Zorobabel

458-400                Activités d’Esdras (lecture de la Loi) et de Néhémie (reconstruction des remparts de Jérusalem)

 

De tous les rois d’Israël, il est dit : « Il fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur », puis suit une phrase du genre : « Il marcha dans le chemin de son père et imita le péché qu’il avait fait commettre à Israël ». Plusieurs dynasties se succèdent à la suite de prises de pouvoir sur la royauté en place. Certains rois comme Jehu et Achab sont particulièrement violents et dévoyés.

Quant aux rois de Juda, souvent il est dit d’eux : « Il fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur », mais plusieurs s’en distinguent, il est dit alors : « Il fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur », par exemple Joas, Ezechias, Josias. Durant cette période tourmentée, le Seigneur suscite des prophètes comme Elie et Élisée qui parcourent le pays en proclamant la parole du Seigneur, en faisant des miracles et en invectivant les rois à cause leur infidélité, souvent au risque de leur vie.

 

L’histoire des rois d’Israël et de Juda raconté dans les deux livres de 1 et 2 Rois

 

Première thèse : le désaveu de la royauté en vue d’un nouveau règne de Dieu

« Une lecture théologique du livre des Rois doit se baser sur le fait que l’histographie royale sert de pont entre les livres de Samuel et celui du prophète Esaïe. La dynastie Davidique, malgré ses débuts glorieux, s’achève par un désastre qui n’est pas seulement un désastre pour Israël et Juda. Ce désastre marque également la fin de la conception d’un Dieu nationaliste ; car ce dernier, au terme de l’histoire rapportée par le livre des Rois a perdu, son pays, son peuple et son Temple. C’est en opposition à cette anti-histoire de salut que le message d’Esaïe a pu déployer tout son impact : message du jugement divin en tant que justification et restitution du pécheur (Es 1,18-26), véritable théocratie comme règne de Dieu, sans roi, sans État et sans temple. » (Ernest Axel Knauf, in Introduction à L’Ancien Testament, Labor et Fides, p.310).

Cette perte se situe au moment de l’exil en 587 av JC lorsqu’une grande partie des Judéens sont déportés à Babylone. En effet, l’empereur babylonien Nabuchodonosor envahit la terre d’Israël, capture le roi et le fait tuer, détruit la ville de Jérusalem et le Temple, emporte à Babylone l’élite de Juda. La question qui hante les esprits est alors celle-ci : « Dieu nous a-t-il abandonnés ? » Les exilés réfléchissent alors aux raisons de cet effondrement. Un nouveau rapport avec Dieu s’instaure, car si nous n’avons plus de pays, la Loi deviendra notre pays ; si nous n’avons plus de roi, le Seigneur YHWH sera notre roi ; si nous n’avons plus de sanctuaire, le Temple, nous aurons un temps, le Sabbat pour célébrer Dieu où que l’on soit. L’Exil représente un tournant majeur dans l’histoire biblique. La plupart des livres de l’Ancien Testament sont écrits dans cette période (du 7e au 4e siècle avec JC)

Seconde thèse : la désobéissance cause de l’effondrement d’Israël puis de Juda

Dans la Bible hébraïque, les livres des Rois sont classés dans l’ensemble des écrits prophétiques, autrement dit, leur préoccupation est de porter un jugement spirituel et moral sur le comportement des rois et non pas de faire une histographie bien qu’ils s’inspirent de plusieurs sources (aujourd’hui disparues) : les annales de Salomon (1R 11,41), les annales des rois d’Israël (1R 14,19) et les celles des rois de Juda 1R 14,29) et d’autres récits liés aux prophètes. La recherche biblique conclut que c’est à partir du 7e s. av. JC que différentes écoles deutéronomistes, reconstruisent l’histoire des rois de Juda et d’Israël avec des approches parfois favorables et souvent défavorables à la royauté. Globalement, leur théologie s’inscrit dans la même ligne que celle du Deutéronome, le cinquième livre de la Torah, (re)trouvé dans le Temple sous le roi Josias (à la base de la réforme deutéronomiste cf. 2R 22-23). Cette théologie présente Israël comme le peuple que le Seigneur (YHWH) a choisi, l’élection (cf. Dt 7,7), libéré miraculeusement de l’esclavage en Égypte (cf. Ex 13-14), la libération, et avec lequel il a fait alliance, lors de la théophanie du Mont Sinaï (cf Ex 19). Cette alliance se concrétise par le don de la loi (les dix commandements, Ex 20) afin que le peuple puisse vivre en conformité avec les trois actes fondateurs. Le livre du Deutéronome insiste sur l’importance de l’obéissance à la Loi de Moïse pour vivre heureux mais il avertit aussi de quelles conséquences dramatiques apporteront la désobéissance aux commandements.

  1. Car tu es un peuple consacré au SEIGNEUR ton Dieu ; c’est toi que le SEIGNEUR ton Dieu a choisi pour devenir le peuple qui est sa part personnelle parmi tous les peuples qui sont sur la surface de la terre.

7Si le SEIGNEUR s’est attaché à vous et s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples.

8Mais si le SEIGNEUR, d’une main forte, vous a fait sortir et vous a rachetés de la maison de servitude, de la main du Pharaon, roi d’Égypte, c’est que le SEIGNEUR vous aime et tient le serment fait à vos pères.

9Tu reconnaîtras que c’est le SEIGNEUR ton Dieu qui est Dieu, le Dieu vrai ; il garde son alliance et sa fidélité durant mille générations à ceux qui l’aiment et gardent ses commandements,

10mais il paie de retour directement celui qui le hait, il le fait disparaître ; il ne fait pas attendre celui qui le hait, il le paie de retour directement. 11Tu garderas le commandement, les lois et les coutumes que je t’ordonne aujourd’hui de mettre en pratique. (Dt 7,6-11).

15Regarde : aujourd’hui je place devant toi la vie et le bonheur d’une part, la mort et le malheur d’autre part. 16Mets en pratique ce que je t’ordonne aujourd’hui. Aime le Seigneur ton Dieu. Suis le chemin qu’il te trace. Obéis à ses commandements, à ses lois et à ses règles. Ainsi tu vivras, tu te multiplieras. Le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays dont tu vas prendre possession.

17Mais si tu te détournes de lui, si tu lui désobéis, si tu adores d’autres dieux, 18alors tu disparaîtras complètement. Je vous préviens dès aujourd’hui ; vous ne resterez pas longtemps dans le pays dont tu vas prendre possession au-delà du Jourdain.

19Oui, je vous avertis solennellement aujourd’hui, les cieux et la terre m’en sont témoins : je place devant toi la vie et la bénédiction d’une part, la mort et la malédiction d’autre part. Choisis donc la vie et tu vivras, toi et ta descendance. 20Aime le Seigneur ton Dieu ! Écoute sa voix ! Reste-lui fidèlement attaché. Alors tu vivras et passeras de longues années dans le pays que le Seigneur a promis de donner à tes ancêtres Abraham, Isaac et Jacob. (Dt 30 15-20)

Lorsque David choisit Salomon pour sa succession, le roi David lui rappelle l’importance de l’obéissance aux commandements dans les termes du Deutéronome.

1Comme le moment de sa mort approchait, David fit ses recommandations à son fils Salomon : 2« Je m’en vais comme s’en va toute chose terrestre ; sois fort, sois un homme ! 3Garde les observances du SEIGNEUR, ton Dieu, marche dans ses chemins, garde ses lois, ses commandements, ses coutumes et ses exigences, comme il est écrit dans la Loi de Moïse. Ainsi tu réussiras dans tout ce que tu feras et projetteras ; 4et le SEIGNEUR accomplira la parole qu’il m’a dite : “Si tes fils veillent sur leur conduite, marchent devant moi avec loyauté, de tout leur cœur, de tout leur être, oui, quelqu’un des tiens ne manquera jamais de siéger sur le trône d’Israël.” (1R 2,1-4)

En écho au Deutéronome, le livre des Rois rappelle régulièrement les conséquences de la désobéissance. Le schisme entre les royaumes d’Israël et de Juda, après la mort de Salomon, en est la première (1R 11,9-11). L’invasion du royaume d’Israël par les Assyriens en 722 av JC, la destruction de Jérusalem et l’exil des Judéens à Babylone par les Babyloniens sont interprétés comme les conséquences dramatiques de la désobéissance des rois et du peuple. Même l’obéissance du roi réformateur Josias ne réussit pas à effacer le péché d’Israël, c’est-à-dire les injustices à l’égard des petits et l’idolâtrie :

24Josias abolit également la divination, les devins, les téraphim, les idoles et toutes les saletés qu’on voyait au pays de Juda et à Jérusalem, afin d’accomplir les paroles de la Loi, paroles écrites dans le livre que le prêtre Hilqiyahou avait trouvé dans la Maison du SEIGNEUR. 25Il n’y avait pas eu avant lui un roi qui, comme lui, revînt au SEIGNEUR de tout son cœur, de tout son être et de toute sa force, selon toute la Loi de Moïse. Après lui, il ne s’en leva pas de semblable. 26Toutefois le SEIGNEUR ne revint pas de l’ardeur de la grande colère qui l’avait enflammé contre Juda, à cause de toutes les offenses que Manassé avait commises contre lui. 27Le SEIGNEUR dit : « Même Juda, je l’écarterai loin de ma présence comme j’ai écarté Israël, je rejetterai cette ville que j’ai choisie, Jérusalem, et la Maison dont j’ai dit : Là sera mon nom. » (2R 23,24-27).

 

La royauté mal vue depuis le début : 1 Samuel 8,1-18

Le Juge et prophète Samuel avait exprimé sa désapprobation lorsqu’Israël avait demandé un roi :

1Devenu vieux, Samuel donna ses fils pour juges à Israël. …

4Tous les anciens d’Israël se rassemblèrent et vinrent trouver Samuel à Rama. 5Ils lui dirent : « Te voilà devenu vieux et tes fils ne marchent pas sur tes traces. Maintenant donc, donne-nous un roi pour nous juger comme toutes les nations. »

6Il déplut à Samuel qu’ils aient dit : « Donne-nous un roi pour nous juger. » Et Samuel intercéda auprès du SEIGNEUR. 7Le SEIGNEUR dit à Samuel : « Écoute la voix du peuple en tout ce qu’ils te diront. Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi. Ils ne veulent plus que je règne sur eux.

8Comme ils ont agi depuis le jour où je les ai fait monter d’Égypte jusqu’aujourd’hui, m’abandonnant pour servir d’autres dieux, ainsi agissent-ils aussi envers toi.

9Maintenant donc, écoute leur voix. Mais ne manque pas de les avertir : apprends-leur comment gouvernera le roi qui régnera sur eux. » 10Samuel redit toutes les paroles du SEIGNEUR au peuple qui lui demandait un roi. 11Il dit : « Voici comment gouvernera le roi qui régnera sur vous : il prendra vos fils pour les affecter à ses chars et à sa cavalerie, et ils courront devant son char. 12Il les prendra pour s’en faire des chefs de millier et des chefs de cinquantaine, pour labourer son labour, pour moissonner sa moisson, pour fabriquer ses armes et ses harnais. 13Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères. ….

17Il lèvera la dîme sur vos troupeaux. Vous-mêmes enfin, vous deviendrez ses esclaves.

18Ce jour-là, vous crierez à cause de ce roi que vous vous serez choisi, mais, ce jour-là, le SEIGNEUR ne vous répondra point. »

 

Résumé de l’histoire de Salomon

Ce qui interroge tout lecteur ou lectrice de l’histoire de Salomon, c’est sa fin si dramatique après une gloire si élevée et réputée dans le monde de son époque. Que veulent nous dire les rédacteurs de ces textes ?

La naissance de Solomon une histoire lourde (2 Samuel 11,2 à 12,25) :

Le roi David ayant repéré depuis la terrasse de son palais une femme en train de prendre son bain sur le toit de sa maison (toit plat), Bethsabée, la femme d’Urie, un soldat de David, la fait venir chez lui et couche avec elle. Devenue enceinte, elle en informe le roi David qui ordonne à son général Joab de rappeler Urie de la guerre et qu’il vienne à Jérusalem pour qu’il couche avec sa femme et que son méfait passe inaperçu. Or Urie refuse d’aller vers sa femme et reste avec les gardes du palais royal. David monte alors un stratagème odieux ; il donne à Urie une lettre cachetée afin qu’il la transmette au général de son armée, Joab. Dans cette lettre David demande que Joab place Urie en première ligne du combat afin qu’il soit tué. C’est ce qui arrive.

Le prophète Natan ayant appris cette ignominie vient trouver le roi pour le mettre devant sa faute. Il lui raconte une parabole. Un homme riche avait de nombreux animaux et un pauvre n’avait qu’une agnelle dont il prenait soin. A la faveur d’un banquet qu’il organise pour recevoir un hôte, le riche réquisitionne l’agnelle du pauvre pour le repas afin de ne pas prendre une bête de son troupeau.

En entendant cette parabole qu’il prend pour une situation réelle, David entre dans une grande colère et demande que cet homme soit mis à mort. Et le prophète Natan de lui dire : « Cet homme c’est toi ! ». Natan énonce le jugement de Dieu sur sa conduite :

  1. Eh bien, l’épée ne s’écartera jamais de ta maison, puisque tu m’as méprisé et que tu as pris la femme d’Urie le Hittite pour en faire ta femme. Ainsi parle le SEIGNEUR : Voici que je vais faire surgir ton malheur de ta propre maison. Je prendrai tes femmes sous tes yeux et je les donnerai à un autre. Il couchera avec tes femmes sous les yeux de ce soleil. 12 Car toi, tu as agi en secret, mais moi, je ferai cela devant tout Israël et devant le soleil. » 13 David dit alors à Natan : « J’ai péché contre le SEIGNEUR. » Natan dit à David : « Le SEIGNEUR, de son côté, a passé sur ton péché. Tu ne mourras pas. (2 S 12,11-12)

David se repent, et prend chez lui Bethsabée. Elle enfante un garçon qui meure après sept jours. David et Bethsabée en sont profondément affectés. Puis Bethsabée attend un second fils que David appelle Salomon ; le prophète Natan le nomme Yedidya, ce qui veut dire : aimé du Seigneur.

 

David choisit Salomon pour lui succéder

Salomon est choisi sur la pression de sa mère Bethsabée et du prophète Natan (1 Rois 1,11-35), bien qu’il ait eu plusieurs frères ayant revendiqué la royauté. Le plus célèbre, Absalom (2Samuel 13,23 à 18,18) s’est même révolté contre David, mais il mourut malencontreusement ; accroché par les cheveux à un térébinthe, Joab le tua.

Avant de mourir, David fait part à Salomon des griefs qui le hantent à l’égard de certaines personnes de son entourage et qu’il n’a pas pu exclure lui-même. Il charge alors à Salomon d’effectuer la besogne (1R 2,5-9) qui sera aussi une façon d’asseoir son pouvoir. Il lui demande donc d’écarter Joab, son général d’armée, et d’éliminer Shiméï, un adversaire. À la fin de la vie de David, Adonias (1R 1,5-10, 1,41-53 et 2R,12-25), un de ses fils, a essayé d’usurper la royauté mais Salomon, une fois intronisé, l’a fait tuer. Salomon écarte du même coup le grand prêtre Abiatar qui a pris le risque d’oindre Adonias comme roi.

 

Salomon épouse la fille de Pharaon (1R 3,1-3)

1Salomon devint gendre du Pharaon, roi d’Egypte ; il épousa la fille du Pharaon et l’installa dans la Cité de David jusqu’à ce qu’il eût fini de bâtir sa propre maison, la Maison du SEIGNEUR et la muraille autour de Jérusalem. 2Seulement, le peuple continuait à offrir des sacrifices sur les hauts lieux car, jusqu’à cette époque, on n’avait pas encore bâti de Maison pour le nom du SEIGNEUR.

3Salomon aima le SEIGNEUR de telle sorte qu’il marcha selon les prescriptions de David, son père ; seulement, c’était sur les hauts lieux qu’il offrait des sacrifices et qu’il brûlait de l’encens.

 

Salomon demande à Dieu la sagesse (1R 3,4-15)

Après cela, Dieu apparaît à Salomon dans un songe dans lequel le jeune roi demande la sagesse et l’intelligence pour gouverner le peuple. Dieu les lui accorde.

Cette sagesse est attestée dans l’événement du Jugement que Salomon exerce à l’égard de deux prostituées en litige par rapport à leurs enfants, l’un étant mort, chacune revendique le vivant comme étant le sien. Ensuite Salomon organise l’administration du royaume et établit sa puissance sur tout le territoire. Sa sagesse est reconnue par toutes les nations alentours (1R 5,9-14) :

9Dieu donna à Salomon sagesse et intelligence à profusion ainsi qu’ouverture d’esprit autant qu’il y a de sable au bord de la mer. 10La sagesse de Salomon surpassa la sagesse de tous les fils de l’Orient et toute la sagesse de l’Egypte. 11Il fut le plus sage des hommes, plus sage qu’Etân l’Ezrahite, et que Hémân, Kalkol et Darda, les fils de Mahol ; son nom était connu de toutes les nations alentour.

12Il prononça trois mille proverbes, et ses chants sont au nombre de mille cinq. 13Il parla des arbres : aussi bien du cèdre du Liban que de l’hysope qui pousse sur le mur ; il parla des quadrupèdes, des oiseaux, des reptiles et des poissons. 14De tous les peuples et de la part de tous les rois de la terre qui avaient entendu parler de la sagesse du roi Salomon, des gens vinrent pour entendre sa sagesse.

 

Salomon construit le Temple (1R 5,15-32)

Il noue une alliance avec Hiram roi de Tyr qui lui fournit des matériaux pour la construction du Temple de Jérusalem selon des plans bien précis. Durant la construction, le Seigneur ne manque pas de l’exhorter à se comporter selon la Loi :

11La parole du SEIGNEUR fut adressée à Salomon : 12« Tu bâtis cette Maison ! Mais si tu marches selon mes lois, si tu agis selon mes coutumes et si tu gardes tous mes commandements en marchant d’après eux, alors j’accomplirai ma parole à ton égard, celle que j’ai dite à David, ton père. 13Et je demeurerai au milieu des fils d’Israël et je n’abandonnerai pas mon peuple Israël. » (1R 6,11-13).

La construction du bâtiment étant achevée, Salomon ordonna que les prêtres apportent l’arche de l’alliance déposée sous une tente par David, David à qui le Seigneur avait dit « ce n’est pas toi qui bâtiras cette Maison, mais ton fils, issu de tes reins ». (1R 19).

 

Lors de la dédicace, Salomon prononce une grande prière devant l’assemblée d’Israël (1R 8,22-30)  

22Salomon, debout devant l’autel du SEIGNEUR et face à toute l’assemblée d’Israël, étendit les mains vers le ciel 23et dit : « SEIGNEUR, Dieu d’Israël, il n’y a pas de Dieu comme toi, ni en haut dans le ciel, ni en bas sur la terre pour garder l’alliance et la bienveillance envers tes serviteurs qui marchent devant toi de tout leur cœur. 24Tu as tenu tes promesses envers ton serviteur David, mon père : ce que tu avais dit de ta bouche, tu l’as accompli de ta main, comme on le voit aujourd’hui. …

27– Est-ce que vraiment Dieu pourrait habiter sur la terre ? Les cieux eux-mêmes et les cieux des cieux ne peuvent te contenir ! Combien moins cette Maison que j’ai bâtie ! –

28Sois attentif à la prière et à la supplication de ton serviteur, ô SEIGNEUR, mon Dieu ! Écoute le cri et la prière que ton serviteur t’adresse aujourd’hui ! …Toi, écoute au lieu où tu habites, au ciel ; écoute et pardonne.

 

Le Temple, lieu de prière universel où l’étranger est invité à prier (1R 8,41-43) :

41Même l’étranger, lui qui n’appartient pas à Israël, ton peuple, s’il vient d’un pays lointain à cause de ton nom – 42car on entendra parler de ton grand nom, de ta main forte et de ton bras étendu – s’il vient prier vers cette Maison, 43toi, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, agis selon tout ce que t’aura demandé l’étranger, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom, et que, comme Israël, ton peuple, ils te craignent et qu’ils sachent que ton nom a été prononcé sur cette Maison que j’ai bâtie.

Salomon supplie le Seigneur pour qu’il garde son peuple dans la fidélité et l’obéissance à la Loi. Il réaffirme l’élection d’Israël afin que le Seigneur soit révélé à tous les peuples (1R 9,57-61) :

57 Que le SEIGNEUR, notre Dieu, soit avec nous comme il a été avec nos pères ; qu’il ne nous délaisse pas et ne nous abandonne pas, 58qu’il incline nos cœurs vers lui pour que nous marchions dans tous ses chemins et gardions les commandements, les lois et les coutumes qu’il avait prescrits à nos pères.

59Que ces supplications que je viens d’adresser au SEIGNEUR soient jour et nuit présentes devant lui, notre Dieu, pour qu’il fasse droit à son serviteur ainsi qu’à Israël, son peuple, selon les besoins de chaque jour ; 60de telle sorte que tous les peuples de la terre sachent que c’est le Seigneur qui est Dieu, qu’il n’y en a pas d’autre. 61Que votre cœur soit intègre à l’égard du SEIGNEUR, notre Dieu, afin que vous marchiez selon ses lois, et gardiez ses commandements, comme vous le faites aujourd’hui. » (1R 8,57-61)

Le Seigneur apparaît une seconde fois à Salomon (1R 9,1-9)

Dans cette apparition, le Seigneur répète à Salomon les conditions de la bénédiction : l’obéissance, mais aussi les conséquences de la désobéissance : la destruction du Temple, cause de risée des autres peuples. Ce qui correspond à la théologie du Deutéronome.

…le SEIGNEUR lui apparut une seconde fois, comme il lui était apparu à Gabaon.

3Le SEIGNEUR lui dit : « J’ai entendu la prière et la supplication que tu m’as adressées : cette Maison que tu as bâtie, je l’ai consacrée afin d’y mettre mon nom à jamais ; mes yeux et mon cœur y seront toujours.

4Quant à toi, si tu marches devant moi comme David, ton père, d’un cœur intègre et avec droiture, en agissant selon tout ce que je t’ai ordonné, si tu gardes mes lois et mes coutumes, 5je maintiendrai pour toujours ton trône royal sur Israël, comme je l’ai dit à David, ton père : “Quelqu’un des tiens ne manquera jamais de siéger sur le trône d’Israël.”

6Mais si vous venez, vous et vos fils, à vous détourner de moi, si vous ne gardez pas mes commandements et mes lois que j’ai placés devant vous, si vous allez servir d’autres dieux et vous prosterner devant eux, 7alors je retrancherai Israël de la surface de la terre que je lui ai donnée ; cette Maison que j’ai consacrée à mon nom, je la rejetterai loin de ma face, et Israël deviendra la fable et la risée de tous les peuples. 8Cette Maison qui est si élevée, quiconque passera près d’elle sera stupéfait et s’exclamera : “Pour quelle raison le SEIGNEUR a-t-il agi ainsi envers ce pays et envers cette Maison ?” 9On répondra : “ Parce qu’ils ont abandonné le SEIGNEUR, leur Dieu, qui avait fait sortir leurs pères du pays d’Egypte, parce qu’ils se sont liés à d’autres dieux, se sont prosternés devant eux et les ont servis : c’est pour cela que le SEIGNEUR a fait venir sur eux tout ce malheur.” »

La gloire de Salomon atteint son paroxysme lorsque la reine de Saba se rend à Jérusalem pour voir sa gloire : (Saba royaume lointain, mal identifié parfois assimilé à l’Éthiopie) (1R 10,4-7)

4La reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon, la maison qu’il avait bâtie, 5la nourriture de sa table, le logement de ses serviteurs, la qualité de ses domestiques et leurs livrées, ses échansons, les holocaustes qu’il offrait dans la Maison du SEIGNEUR, et elle en perdit le souffle. 6Elle dit au roi : « C’était bien la vérité que j’avais entendu dire dans mon pays sur tes paroles et sur ta sagesse. 7Je n’avais pas cru à ces propos tant que je n’étais pas venue et que je n’avais pas vu de mes yeux ; or voilà qu’on ne m’en avait pas révélé la moitié ! Tu surpasses en sagesse et en qualité la réputation dont j’avais entendu parler.

Le roi Salomon, le plus grand de tous les rois de la terre en richesse et en sagesse (1R 10,24-27) :  

24Toute la terre cherchait à voir Salomon afin d’écouter la sagesse que Dieu avait mise dans son cœur. 25Chacun apportait son offrande : objets d’argent et objets d’or, vêtements, armes, aromates, chevaux et mulets ; et cela chaque année.26Salomon rassembla des chars et des cavaliers. Il avait mille quatre cents chars et douze mille cavaliers qu’il conduisit dans les villes de garnison et, près de lui, à Jérusalem. 27Le roi fit qu’à Jérusalem l’argent était aussi abondant que les pierres, et les cèdres aussi nombreux que les sycomores du Bas-Pays.

La chute de Salomon (1R 11,1-13)

À peine le récit de la gloire de Salomon a-t-il atteint son apogée, que l’on découvre son tragique effondrement, conséquences inéluctables de son infidélité et de sa désobéissance, notamment par le culte qu’il voue aux dieux étrangers dont il avait été clairement qu’il

1Le roi Salomon aima de nombreuses femmes étrangères : outre la fille du Pharaon, des Moabites, des Ammonites, des Edomites, des Sidoniennes, des Hittites. 2Elles étaient originaires des nations dont le SEIGNEUR avait dit aux fils d’Israël : « Vous n’entrerez pas chez elles, et elles n’entreront pas chez vous, sans quoi elles détourneraient vos cœurs vers leurs dieux. » C’est justement à ces nations que Salomon s’attacha à cause de ses amours. 3 Il eut sept cents femmes de rang princier et trois cents concubines. Ses femmes détournèrent son cœur.

4A l’époque de la vieillesse de Salomon, ses femmes détournèrent son cœur vers d’autres dieux ; et son cœur ne fut plus intègre à l’égard du SEIGNEUR, son Dieu, contrairement à ce qu’avait été le cœur de David son père.

5Salomon suivit Astarté, déesse des Sidoniens, et Milkom, l’abomination des Ammonites.

6Salomon fit ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR et il ne suivit pas pleinement le SEIGNEUR, comme David, son père.

7C’est alors que Salomon bâtit sur la montagne qui est en face de Jérusalem un haut lieu pour Kemosh, l’abomination de Moab, et aussi pour Molek, l’abomination des fils d’Ammon.

8Il en fit autant pour les dieux de toutes ses femmes étrangères : elles offraient de l’encens et des sacrifices à leurs dieux.

9Le SEIGNEUR s’irrita contre Salomon parce que son cœur s’était détourné de lui, le Dieu d’Israël qui lui était apparu deux fois 10et qui lui avait ordonné précisément de ne pas suivre d’autres dieux ; mais Salomon n’observa pas ce que le SEIGNEUR avait ordonné.

11Le SEIGNEUR dit à Salomon : « Puisque tu te conduis ainsi et que tu n’as pas gardé mon alliance ni les lois que je t’avais prescrites, je vais t’arracher la royauté et je la donnerai à l’un de tes serviteurs.

12Cependant, ce ne sera pas de ton vivant que je le ferai, à cause de David, ton père ; je l’arracherai de la main de ton fils. 13Mais je n’arracherai pas toute la royauté ; il y aura une tribu que je donnerai à ton fils à cause de David mon serviteur et à cause de Jérusalem que j’ai choisie. »

 

Pourquoi cette chute ?

La question qui se pose alors est celle-ci : comment comprendre un effondrement aussi tragique de la part du roi le plus sage et le plus glorieux du monde ? Un roi qui n’a cessé de rappeler à son peuple l’importance vitale d’obéir aux commandements, avec l’avertissement solennel que, au cas où ceux-ci ne seraient pas respectés, les pires malheurs fondraient sur le peuple. La chute de Salomon est d’autant plus choquante qu’il fut élevé aux nues de la sagesse et de la gloire.

Qu’est-ce que l’auteur veut nous faire comprendre ?

Avant même la fin de la dynastie davidique, Salomon est le symbole de son effondrement. Lui qui avait tout pour bien faire a manifesté la plus grande des infidélités en adorant des divinités étrangères. Or celles-ci ont conduit aux pires abominations : le sacrifice d’enfants (cf. 2R 17,17 et 23,10), pratiques interdites en Israël (Lv 18,21 et Dt 12,31). La désobéissance ne consiste pas seulement dans l’adoration de divinités étrangères, mais dans l’oubli de la justice sociale qui se traduit par le mépris du pauvre, de la veuve et de l’orphelin. Elle consiste aussi à vivre dans l’hypocrisie religieuse (cf. Es 1, Jr 7). Toutefois, le Seigneur continue de s’adresser à son peuple infidèle par ses prophètes pour l’appeler à revenir à lui, car il est un Dieu de miséricorde qui ne se lasse pas de pardonner. (Es 55,6-7).

On peut être gêné par le discours moralisant qui annonce les conséquences de la désobéissance telles qu’on peut les lire dans le Deutéronome ou le livre des Rois (deutéronomistes). Dès lors faut-il en conclure que le Dieu d’Israël est un Dieu punisseur. Il s’agit plutôt de voir que ces textes appellent à la responsabilité et que dans la mesure où la justice et la bienveillance envers le prochain disparaissent, où les lois ne sont pas respectées, il s’en suit nécessairement le malheur. L’erreur à ne pas commettre est d’inverser le propos en disant que le malheur est nécessairement le résultat d’une désobéissance. Le livre de Job dénonce avec vigueur cette perspective perverse.

Le fidélité du Seigneur traverse le temps. Les colères du Seigneur sont l’expression d’un Dieu passionné en faveur de son peuple qu’il voit se détruire. Car constamment il veut le relever, le sauver de ses erreurs et de ses fautes et lui pardonner (Es 1,18-20) :

18« Venez donc, dit le Seigneur, nous allons nous expliquer. Si vos crimes ont la couleur du sang, ils deviendront blancs comme neige. S’ils sont rouge vif, ils prendront la blancheur de la laine.

19Si vous êtes bien disposés, si vous m’écoutez, vous vous nourrirez des bons produits du pays.

20Mais si vous refusez, si vous êtes rebelles, vous serez tués par l’épée. » Voilà ce que déclare le Seigneur.

Salomon une figure fascinante et ambiguë - 2 par Roland Benz

1 ROIS 3.16-28 (trad NBS)                                                              Texte PDF

 

16 Alors deux prostituées vinrent chez le roi et se présentèrent devant lui.

17 L’une des femmes dit : Pardon, mon seigneur ! Moi et cette femme nous habitons la même maison, et j’ai accouché près d’elle dans la maison. 18 Le troisième jour après mon accouchement, cette femme aussi a accouché. Nous étions ensemble, personne d’autre n’était avec nous dans la maison, il n’y avait que nous deux dans la maison. 19 Le fils de cette femme est mort pendant la nuit, parce qu’elle s’était couchée sur lui. 20 Elle s’est levée en pleine nuit, elle a pris mon fils à mes côtés tandis que, moi, ta servante, je dormais, et elle l’a couché sur son sein ; et son fils, qui était mort, elle l’a couché sur mon sein. 21 Au matin, je me suis levée pour allaiter mon fils ; mais il était mort. Je l’ai examiné au matin : ce n’était pas mon fils, celui que j’avais mis au monde !

22 L’autre femme dit : Pas du tout ! C’est mon fils qui est vivant, et c’est ton fils qui est mort. Mais la première femme répliqua : Pas du tout ! C’est ton fils qui est mort, et c’est mon fils qui est vivant. C’est ainsi qu’elles parlèrent devant le roi. 23 Le roi dit : L’une dit : « C’est ici mon fils, qui est vivant ; c’est ton fils qui est mort ! » L’autre dit : « Pas du tout ! C’est ton fils qui est mort, et c’est mon fils qui est vivant ! »

24 Le roi dit alors : Allez me chercher une épée ! On apporta l’épée au roi.

25 Le roi dit : Coupez en deux l’enfant vivant, donnez la moitié à l’une et la moitié à l’autre.

26 Alors la femme dont le fils était vivant s’émut pour son fils et dit au roi : Pardon, mon seigneur ! Donnez-lui l’enfant vivant, ne le mettez pas à mort ! Tandis que l’autre disait : Il ne sera ni à moi ni à toi ; coupez-le !

27 Alors le roi dit : Donnez-lui l’enfant vivant, ne le mettez pas à mort. C’est elle qui est sa mère.

28 Tout Israël apprit le jugement que le roi avait prononcé ; on craignit le roi, car on avait vu que la sagesse de Dieu était en lui pour agir selon l’équité.

Le Contexte biblique : Salomon vient d’être intronisé roi d’Israël par son père, le roi David. Sur conseil de celui-ci, il écarte ou fait tuer ses opposants (cf. 1R 2). Il affermit définitivement sa royauté en faisant supprimer son frère aîné Adonias qui a manœuvré pour s’emparer de la couronne. Ensuite Dieu lui apparaît dans un songe (1R 3,4-15), il demande alors la sagesse pour gouverner le peuple d’Israël, ce qui lui est accordé. Plus tard, après un banquet offert à tous ses serviteurs, deux prostituées en conflit lui demandent d’exercer la justice entre elles. Son intelligence et sa sagesse sont mises à l’épreuve.

 

Proposition d’interprétation :

 

Le récit du jugement de Salomon, un itinéraire de la paroleen sept étapes

 

1ère étape: La parole absente des pères

Deux femmes prostituées, deux femmes rejetées et délaissées, sans maris, n’ont plus, comme solution de survie, que le recours de vendre leur corps, sans parole d’amour. A trois jours d’intervalle, chacune met au monde un fils issu de père inconnu.

Dans ce lieu clos, la parole de l’autre, celle du père qui devrait nommer l’enfant qui naît, est absente. La parole qui tranche symboliquement le cordon ombilical et qui devrait opérer une distinction entre la mère et le nouveau-né, est défaillante. Les deux mères sont seules dans leur maison, encloses avec leur enfant dans une maison fermée ; l’expression « dans la maison » est répétée quatre fois dans les v 17-18.

L’itinéraire de la parole commence paradoxalement par une absence de parole, celle du père qui devrait nommer l’enfant comme sujet. Alors qu’aux premiers jours de la création, la Parole divine crée par mode de distinction et séparation dans le chaos de l’indifférenciation et nomme les choses et les êtres créés.

 

2e étape: La parole confuse de la fusion étouffe la vie

Tout se joue dans la confusion de la nuit de deux femmes en situation à la fois d’abandon et de mimétisme, d’indifférenciation et de repli, de deux femmes en fusion avec leur enfant ; deux femmes qui habitent dans la même maison, enceintes dans la même enceinte : « Nous étions ensemble, personne d’autre n’était avec nous dans la maison, il n’y avait que nous deux dans la maison ». On est dans l’indiscernable. L’antre qu’elles occupent se réduit à la mesure du renflement de leurs ventres. Elles accouchent, l’une d’abord, puis l’autre trois jours après : l’espace entre elles se resserre. Rien ni personne d’autre … elles sont deux, puis deux fois deux, quatre êtres sans espace, pas un courant d’air… Dans la fusion avec son enfant, une des mères finit par l’étouffer dans son sommeil. Par manque d’air, l’asphyxie signe le terme de la vie qui dépérit et s’étiole, qui finit par cesser quand on se couche sur elle, parce que, trop pâle, on ne la distingue plus. Les mots indistincts de la fusion conduisent à l’étouffement, à la mort.

 

3e étape: La parole mensongère substitue la mort à la vie

La mère qui découvre un enfant mort dans son sein construit un scénario dans le but de donner une explication à ce drame. Mais comment peut-elle savoir que l’autre femme s’est levée pour effectuer la substitution puisqu’elle dormait ? Est-elle dans la sidération au point qu’elle imagine ce scénario pour nier la réalité ou bien dit-elle simplement la vérité ? On ne peut pas le savoir. Les mères savent-elles si elle dise la vérité ou non

Dans la nuit, les gestes et la parole en viennent à substituer la mort à la vie. La culpabilité d’être une mauvaise mère se focalise sur le fait de vouloir être mère absolument. C’est comme si posséder un enfant constitue la seule identité possible pour ces deux femmes, plus importante que l’attention portée à la personne de leur enfant. Le scénario du mensonge entraîne l’autre et le roi dans une spirale de l’opacité. Impossible de savoir laquelle dit vrai, laquelle est la véritable mère et donc à qui est l’enfant vivant. Le mensonge absorbe, engloutit la vie. Plus rien, ni personne ne peut empêcher la mort de se faire passer pour la vie. Voici venue l’heure de la nuit où la mort s’arroge le droit à la vie. Tout se passe comme si dans cette absence de démarcation, au sommet de la confusion, l’impensable prend le dessus : on remplace un vivant par un mort. Le mal subi est transformé en mal commis comme il arrive aujourd’hui dans certains procès. La parole mensongère engendre la mort.

 

4e étape: La parole répétitive de la confusion et du désespoir

Chaque femme ne fait que nier les propos de l’autre : C’est mon fils qui est vivant, et c’est ton fils qui est mort. Chacune répète avec obstination les mêmes mots qui l’opposent à ceux de l’autre. Parole de remord, parole remâchée dans le désir d’annuler l’irrémédiable. La parole tourne à vide dans le déni, elle s’enfonce dans le vide de la répétition. Chacune revendique l’enfant vivant comme une possession. La parole répétée sans interruption perd son statut de parole adressée à l’autre pour n’être que des mots de mort, vidés de leur sens. C’est le cercle infernal du désir mimétique.

Mais dans cette nuit de la confusion et du mensonge arrive la parole d’un autre : celle du roi. Dans un premier temps, il ne fait que répéter leurs propos afin de faire miroir à leur enfermement. Même s’il entend et répète leurs mots, rien ne lui permet de faire émerger la vérité.

Il en va ainsi des paroles qui ressassent ce qui s’est passé comme pour effacer la réalité pour qu’elle corresponde au désir plutôt qu’aux faits. La parole répétitive du remord et de la négation de la réalité enferme dans la nuit du désespoir.

 

5e étape: La Parole tranchante pour faire surgir la vérité 

Rien ne permet de discerner quelle femme dit la vérité et laquelle ment. (Pas de test ADN à l’époque !). Mais le roi sait qu’il doit prononcer un jugement, c’est sa responsabilité. Il demande alors qu’on lui apporte une épée, symbole de la puissance qui règle les conflits en tuant. Pour que cette écorce craque, pour que cette paralysie cesse, il faut que quelque chose vienne d’ailleurs. Mais rien n’est gagné d’avance, car tout peut continuer dans la mort. L’épée a le pouvoir de faire mourir une fois de plus, comme Salomon l’a fait avec ses adversaires pour asseoir sa puissance royale.

Avant que l’épée n’agisse, c’est la Parole tranchante du roi qui va agir : « Tranchez l’enfant vivant en deux! », dit le roi. Est-ce une provocation, une ruse ou le reflet de sa violence, notamment celle qu’il a exercée contre son frère Adonias. Le texte n’en dit rien. Couper l’enfant en deux, cela consisterait à exercer une justice purement juridique et sacrificielle, revenant à distribuer aux deux mères les morceaux d’un enfant mort. Cette justice apporterait la fin du litige, mais sans avoir fait émerger la vérité. Salomon serait renforcé dans la crainte qu’il inspire par son pouvoir de vie et de mort sur ses sujets, mais où serait sa sagesse ? Comme l’épée possède deux tranchants, quelque chose d’autre peut advenir avant qu’elle agisse et fasse mourir.

 

6e étape: Le parole-cri pour la vie

«Pardon, mon seigneur! Donnez-lui l’enfanté vivant, mais surtout ne le faites pas mourir»s’écrie l’une des mères. Tandis que l’autre disait: Il ne sera ni à moi ni à toi; coupez-le !»

Celle-ci ne fait que répéter l’injonction du roi : «Tranchez!». On aurait pu s’attendre à ce qu’elle dise : « Enfin ma colocataire reconnaît que l’enfant est à moi », mais par ses mots elle révèle, elle aussi, la vérité en choisissant de voir l’enfant vivant mourir, comme le sien. Elle veut que l’autre mère soit comme elle, la mère d’un enfant mort. Sa convoitise fait d’elle la mère d’un enfant mort.

Émue dans ses entrailles, la vraie mère est identifiée. Son corps, ses matrices, comme dit le texte, parlent plus fort que tout. Sa parole est celle de l’amour maternel qui veut la vie au prix de son retrait, au prix du renoncement à être mère. C’est la Parole qui désire la vie de l’enfant, celle de l’autre, avant sa propre vie, contre la parole qui veut posséder : « Donnez-lui l’enfant, surtout ne le faites pas mourir ». En renonçant au pouvoir légitime d’être mère, parce qu’elle aime son enfant, elle veut qu’il advienne à sa propre vie. Non seulement elle lui a donné naissance mais elle lui donne la vie une seconde fois.

 

7e étape: La Parole de vérité qui fait vivre

Salomon se laisse toucher par le cri de la mère qui veut la vie de son enfant, le plus fragile. Dès lors, c’est le roi lui-même qui est transformé. Sa violence première pour conforter sa royauté est totalement renversée par le cri de vie de la mère. Salomon peut alors prononcer la Parole de sagesse qui donne l’enfant vivant à la mère vivante : « Donnez-lui l’enfant vivant, ne le mettez pas à mort. C’est elle qui est sa mère.»

Sa parole tranchante a provoqué le choc qui fait émerger la vérité contre le mensonge. Le cri de vie de la mère fait éclater l’indiscernable, il fait émerger la vérité : la mère est identifiée. La vérité étant révélée, l’autre mère n’est pas vouée à la solitude de la mort ; elle pourra faire son chemin de deuil à partir de la réalité reconnue, ce qui pourra ouvrir en elle l’espace pour une autre vie.

Le jeune roi Salomon avait demandé à Dieu, dans un songe, de recevoir la sagesse et l’intelligence pour gouverner son peuple. Sa parole transforme la puissance de mort en puissance de vie en faveur du plus petit des humains du royaume d’Israël, fils d’un inconnu et d’une femme prostituée, grâce au cri de sa mère. Plus qu’à la justice, la sagesse conduit à vouloir la vie. Cette attitude fait directement écho à la parole du Seigneur dans le Deutéronome : « Je place devant toi la vie et la bénédiction d’une part, la mort et la malédiction d’autre part. Choisis donc la vie et tu vivras, toi et ta descendance » (cf. Deutéronome 30,15-20).

On peut considérer que le récit du jugement de Salomon représente un tournant pour l’exercice du pouvoir. Pour sortir de l’imbroglio du mensonge et du pouvoir qui écrasent, la clé consiste à écouter les plus petits, à vouloir la vie des plus fragiles.

Cela me conduit à rappeler une parole de Jésus. Alors que les disciples se disputent pour savoir lequel est le plus grand, Jésus leur dit : «Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.» 

Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux et, après l’avoir embrassé, il leur dit: «Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même; et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé.» (Marc 10,35-37)

Roland Benz, pasteur

Salomon une figure fascinante et ambiguë - 3 par Roland Benz

Ma parole – Série d’études bibliques – 13,20,27 septembre 2023 – temple de Plan-les-Ouates

Salomon une figure fascinante et ambiguë

Animation : Blaise Menu et Roland Benz

Le livre du Qohélet, mise en question de la sagesse juive et de la philosophie grecque Roland Benz, pasteur

Étude inspirée du livre de Marc Faessler : Qohélet philosophe, L’éphémère de la joie, Ed Labor et Fides, 2013. La signification du nom Qohélet

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Le jugement de Salomon, la vérité et la paix par Boris Bernabé

Les Cahiers de la justice, 2020/4, pages 595-608

Le paradigme légaliste sur lequel reposaient jusqu’à la fin du XXe siècle les caractères de l’office du juge est aujourd’hui renversé. Le juge comme les justiciables doivent réapprendre que l’acte de juger, dans sa plénitude, n’a pas pour finalité l’énoncé d’une vérité objective mais le rétablissement de la paix civile. Pour ce faire, le juge, « oracle des mœurs » (G. Cornu) doit déployer une qualité supérieure à toutes les autres, que le Jugement de Salomon (1 Rois 3, 16-28) désigne entre toutes.

LIEN pour lire l’article.

Le jugement de Salomon expliqué par André Wénin, bibliste

Le jugement de Salomon expliqué

Dans la Bible, le premier livre des Rois raconte comment le roi Salomon départage deux femmes qui revendiquent le même enfant. Commentaire détaillé du bibliste André Wénin, extrait de son livre, Le roi, le prophète et la femme (éd. Bayard). Publié le 26 février 2016.

Dans le langage courant, un « jugement de Salomon » est un verdict qui renvoie les parties dos à dos et met fin de la sorte au litige confus qui les oppose, quand bien même ce doit être au mépris de la justice. De l’histoire racontée dans le premier livre des Rois, ce sens commun ne retient que l’image de l’épée qui tranche une affaire apparemment inextricable. Mais il néglige l’essentiel du récit. Celui-ci se situe en effet au niveau de la parole du roi sage qui permet à la vérité de triompher du mensonge et à la vie de l’emporter sur la mort. Car, à n’en pas douter, c’est là un des enjeux fondamentaux du récit : montrer combien vie et mort s’entrecroisent avec vérité et mensonge. Tant il est vrai qu’« on ne reconnaît les effets de vérité ou de mensonge du discours qu’aux effets de vie ou de mort qu’il produit dans le corps ».

L’histoire des deux prostituées revendiquant le même enfant vivant a tous les traits d’un conte populaire. Le seul fait que les acteurs – y compris le roi – soient anonymes en est un signe.

Dès le début de ce siècle, J.-G. Frazer comparait cette page à un parallèle indien, tandis que H. Gressmann recensait une bonne vingtaine de versions du thème dans la littérature folklorique universelle. D. Vasse le rapproche pour sa part d’un conte chinois où, pour trancher une affaire similaire, le juge éloigne l’enfant des deux mères ; au signal donné, elles se précipitent pour prendre l’enfant, mais quand celui-ci se met à crier, la vraie mère renonce à l’arracher à l’autre pour éviter de le blesser. Ce genre de conte, on le sait, est fréquemment porteur d’une profonde sagesse. Aussi n’est-il pas étonnant que ce petit récit ait été retenu précisément afin d’illustrer la sagesse de Salomon dans le contexte du début de son règne. Tel est du reste l’enjeu que la conclusion met en évidence (v. 28).

Avant de regarder de plus près cette célèbre histoire et d’en proposer une lecture narrative et anthropologique, il convient de relire le texte dans une traduction littérale qui respecte au mieux les nombreuses répétitions qui l’émaillent.

Le « jugement de Salomon » (1 R 3,16-28)

16 Alors vinrent deux femmes prostituées vers le roi et elles se tinrent devant lui.

17 Et la femme, la une, dit : « À moi, Monseigneur ! Moi et cette femme habitons dans une maison unique. Et j’ai enfanté avec elle dans la maison.

18 Et le troisième jour après que j’eus enfanté, enfanta aussi cette femme. Or nous étions ensemble : pas d’étranger avec nous dans la maison, excepté nous deux dans la maison.

19 Et le fils de cette femme mourut une nuit parce qu’elle s’était couchée sur lui.

20 Et elle se leva au milieu de la nuit et elle prit mon fils d’à côté de moi – alors que ta servante dormait – et elle le coucha dans son sein ; et son fils mort, elle le coucha dans mon sein.

21 Et je me levai au matin pour allaiter mon fils, et voici : il était mort. Et je cherchai à le distinguer au matin, et voici : ce n’était pas mon fils que j’avais enfanté. »

22 Et l’autre femme dit : « Non, car mon fils (est) le vivant et ton fils, le mort. » Mais celle-ci disait : « Non, car ton fils (est) le mort et
mon fils, le vivant. » Et elles parlèrent devant le roi.

23 Et le roi dit : « Celle-ci dit : “Celui-ci (est) mon fils, le vivant et ton fils, le mort” ; mais celle-ci dit : “Non, car ton fils (est) le mort et mon fils, le vivant.” »

24 Et le roi dit : « Prenez pour moi une épée » – et ils apportèrent l’épée devant le roi.

25 Et le roi dit : « Tranchez l’enfant vivant pour deux, et donnez la moitié à une et la moitié à une. »

26 Et la femme dont l’enfant était le vivant dit au roi – car ses matrices étaient émues au sujet de [sur] son fils – et elle dit : « À moi, Monseigneur ! Donnez à elle l’enfanté vivant, mais surtout ne le faites pas mourir ! » Mais l’autre disait : « Ni à moi, ni à toi il ne sera ! Tranchez ! »

27 Et le roi répondit et dit : « Donnez à elle l’enfanté vivant, mais surtout ne le faites pas mourir : celle-là (est) sa mère. »

28 Et tout Israël entendit le jugement qu’avait rendu le roi et ils craignirent le roi car ils avaient vu que la sagesse de Dieu (était) en son coeur pour faire jugement.

Introduction narrative (v. 16)

L’introduction du récit (v. 16) campe le décor on ne peut plus sobrement. Deux femmes « viennent et se tiennent devant le roi ». En réalité, les verbes utilisés qualifient leur démarche comme une comparution devant une cour de justice. En ce sens, le roi est d’emblée situé par les femmes dans la position d’un juge à qui elles en appellent pour qu’il règle leur litige.

Les deux plaignantes sont décrites comme des prostituées. Peut-être, comme le disent les traditions targoumiques, sont-elles les hôtesses d’une maison accueillant les étrangers de passage (v. 18b) à qui elles offrent également un « service de nuit », si l’on peut dire – un peu à l’instar de la « prostituée » Rahab qui reçoit chez elle, à Jéricho, les espions israélites (Jos 2,1)2. Mais comme cette qualification des deux femmes est la seule que le début du récit fournit, il serait étonnant qu’elle soit purement descriptive.

En donnant cette précision, en effet, le récit campe les personnages en conflit. Prostituées, ces femmes sont probablement sans mari – et d’ailleurs, les paroles de la première plaignante laisseront entendre qu’elles habitent seules. Dans ce cas, les fils dont il va être question sont des enfants sans père, ou du moins des enfants dont le père est inconnu, anonyme.

Ce manque cache sans doute un des enjeux, trop souvent inaperçu, de l’histoire : comment cet enfant va-t‑il trouver à vivre, s’il n’y a pas de père ? En outre, la situation de ces femmes sans mari est de nature à renforcer chez elles l’attachement à leurs enfants, surtout s’il s’agit de fils. Mais aussi, le fait qu’elles soient objet de plaisir pour des hommes de passage ne les dispose guère au respect envers le monde masculin, et donc aussi envers leurs fils.

La suite montrera, du reste, comment cette affection excessive risque de laisser peu de place à l’enfant. Enfin, dans l’économie du récit, il n’est pas indifférent non plus que ces femmes appartiennent à une profession dont la réputation est souvent douteuse. Cet élément contribue à accentuer le caractère peu fiable de leur parole et donc l’indécision où se trouveront plongés le roi et le lecteur en entendant leurs discours contradictoires.

Le litige des femmes (v. 17.22)

La première partie du récit est constituée seulement de discours. En rapportant les paroles que les deux femmes adressent au roi (v. 17‑22), la narration contraint le lecteur à se faire par lui-même une idée de leur conflit.

De plus et surtout, dans la mesure où elle donne successivement le point de vue de chaque femme sans interférer le moins du monde, elle place le lecteur dans une position analogue à celle du roi qui, en entendant les deux discours, est placé devant un problème confus et apparemment sans issue.

On entend d’abord longuement le discours de la première plaignante. Elle présente un récit détaillé d’événements dont elle se dit victime. Dans son exposition des faits, après avoir décrit les circonstances (v. 17‑18), elle désigne l’autre femme comme responsable de la mort de son enfant (v. 19) et de la substitution des bébés (v. 20) dont elle s’est aperçue le matin même (v. 21). Tout en racontant son histoire, la femme esquisse, sans en avoir l’air, un double contraste, qui la donne à voir comme une bonne mère par opposition à l’autre femme.

Cette dernière se couche de nuit sur son enfant au point qu’il en meurt (v. 19) ; elle, en revanche, se lève le matin pour allaiter le sien (v. 21a). Son premier souci au lever est ainsi de faire attention à son petit et d’en prendre soin ; au contraire l’autre, au milieu de la nuit, se lève pour subtiliser le bébé vivant et le coucher près d’elle, l’exposant au même sort que le premier (v. 20a).

De la sorte, le récit n’est plus un simple rapport. Il constitue un plaidoyer visant à capter la bienveillance du juge. Cependant, dès que l’autre femme contredit cette interprétation des faits en affirmant simplement que l’enfant vivant est le sien, elle jette le soupçon sur la crédibilité des dires de sa comparse.

On se rend compte alors que cette dernière ne produit aucune preuve de ce qu’elle avance. Aussi la question se pose-t‑elle de savoir dans quelle mesure elle est fiable. L’assurance de son discours et l’image positive qu’elle y donne d’elle-même ne doivent donc pas abuser l’auditeur. Car si la femme sait s’attirer la sympathie de qui l’écoute, c’est mauvaise justice que celle qui se fie aux apparences (Is 11,3).

En tout cas, une chose est sûre sa reconstitution des faits de la nuit est hypothétique. La femme n’avoue-t‑elle pas elle-même qu’elle dormait, au point de ne pas se rendre compte que l’on prenait son enfant d’à côté d’elle ?

Certes, la franchise de cet aveu pourrait jouer en sa faveur. Mais il implique qu’elle raconte des faits qu’elle ne peut connaître, s’il est vrai qu’elle dormait. Au demeurant, le fait qu’elle introduise cette précision comme une incise au beau milieu du récit de ce qu’elle devrait ignorer (v. 19b-20) pourrait aussi bien insinuer qu’elle s’aperçoit un peu tard de l’invraisemblance de ce qu’elle raconte.

Dans ces conditions, de deux choses l’une. Ou la femme dit la vérité, ou elle ment. Dans la première hypothèse, cette femme était endormie au moment des faits. Son récit est alors le scénario qu’elle a imaginé pour expliquer qu’au matin elle ait trouvé le fils de l’autre femme mort à côté d’elle. Dans ce cas, l’essentiel de ses dires est vrai, même si, dans son ignorance, elle a dû échafauder une partie de ce qu’elle raconte.

Dans la seconde hypothèse, elle raconte ce qui s’est passé effectivement et qu’elle connaît pour l’avoir fait elle-même. Dans ce cas, tout en disant quelque chose de vrai, elle ment effrontément, car après avoir interverti les enfants dans la réalité, elle intervertit les mères dans le discours, sans changer le scénario. Ainsi, pour garder l’enfant, « dans un redoublement de jalousie perverse », elle ferait porter à l’autre la responsabilité de son propre méfait.

Cela dit, une troisième possibilité n’est pas à exclure. En effet, l’enfant de la femme qui parle a pu mourir tandis qu’il dormait auprès d’elle (v. 19). Au réveil, en constatant sa mort, elle aurait été incapable de reconnaître la cruelle vérité. Aveuglée par son tourment et peut-être pour se libérer d’une culpabilité insoutenable, elle aurait fantasmé cette histoire en toute bonne foi, projetant sur l’autre la responsabilité de la mort du bébé.

De toute manière, quoi qu’il en soit de ce qui motive la plaignante, son discours se donne à croire sans fournir aucun élément qui permettrait de voir si elle dit ou non la vérité. Au contraire, dans le récit, tout est en place pour que les allégations de la femme soient rigoureusement incontrôlables, comme le fait que les bébés soient pour ainsi dire du même âge. Mais il y a plus. L’argument que la femme qui plaide invoque pour inférer la culpabilité de l’autre contribue encore à renforcer le caractère invérifiable de ce qu’elle dit. Car elle insiste sur le fait que personne n’était dans la maison avec elles cette nuit-là (v. 17 et 18b).

Pour elle, c’est le signe que le coupable se trouvait à l’intérieur – par trois fois, elle répète l’expression « dans la maison ». Et puisqu’elle-même est innocente, ce ne peut être que l’autre qui a fait le coup à la faveur de l’obscurité. Mais pour l’auditeur, loin de prouver quoi que ce soit, cette absence de tiers à même de témoigner dans cette affaire épaissit les ténèbres qui l’entourent.

Dans ces conditions, roi et lecteur sont plongés l’un et l’autre dans le noir. À cet égard, la fin du plaidoyer pro domo de la femme peut prendre un double sens. En effet, elle parle du « discernement » qu’elle a dû exercer pour « distinguer » les deux fils et constater que le mort n’était pas le sien. De cette manière, ses mots suggèrent au roi de mettre en oeuvre sa propre capacité de discernement1. En d’autres termes, la simple évocation de ce qu’elle-même a fait indiquerait au roi ce qu’il y a lieu de faire pour tirer les choses au clair. Certes, pour la femme, le discernement doit pencher en sa faveur. Mais pour le roi, les choses ne sont pas simples. La parole de l’autre femme (v. 22a), en effet, loin de contribuer à faire la lumière, jette plutôt le trouble.

Celle-ci ne donne pas sa version des faits. Elle ne récuse pas non plus celle de l’autre. Elle conteste seulement sa conclusion, et revendique comme sien l’enfant vivant. Cette repartie ne manque pas de force dans la mesure où elle donne de la seconde femme l’image de quelqu’un qui tout simplement n’a rien à dire : « Elle n’a rien fait, rien vu, rien perdu, et ne voudrait pas avancer des théories sur la mort de l’enfant d’une autre. »

Traitée indirectement de menteuse, la première répond. Son discours est un écho de ce que l’autre vient de dire. Plus exactement, il en est l’image en miroir puisque les deux phrases forment un chiasme qui est révélateur de l’opposition radicale entre les femmes.

Non car mon fils le vivant et ton fils le mort.
Non car ton fils le mort et mon fils le vivant.

Toutes les deux réclament donc le fils vivant, et c’est parole contre parole. Bien sûr, l’une des deux ment, même s’il ne faut pas exclure la possibilité que ce mensonge ne soit pas conscient (selon la troisième hypothèse évoquée ci-dessus). Aussi la question se pose-t‑elle de savoir pourquoi un tel mensonge. Quel motif expliquera l’agir de cette femme mieux que ne le feraient la convoitise et la jalousie ?

Dans le meilleur des cas, celles-ci s’alimentent au malheur de la perte de l’enfant, poussant la mère à vouloir s’accaparer l’autre bébé. Mais on peut aussi penser que la convoitise a déjà fait son œuvre lors de la mort de l’enfant. En ce sens, l’expression « coucher sur » pourrait faire allusion à une relation de type incestueux pesant « sur » le fils au point de l’empêcher de vivre.

Ce serait là l’image d’un amour maternel possessif, étouffant. Du reste, plus loin, on verra que la femme qui ment à présent est animée par un désir de mort, puisqu’elle voudra que l’enfant vivant meure, alors même que la mère le lui donne (v. 26). Mais si la convoitise pousse une des deux femmes à mentir, pourquoi ne pas dévoiler qui elle est ?

Certes, au niveau de la tension narrative, cela désamorcerait complètement la curiosité due à la rétention de cette information essentielle. Mais il y a sans doute une raison plus profonde. C’est qu’à ce stade du récit, les deux femmes se ressemblent, même si l’une sait qu’elle dit vrai et l’autre qu’elle ment (si du moins elle le sait). En effet, lorsque dans les mêmes termes que l’autre, la première femme revendique l’enfant vivant comme sien, elle montre qu’elle aussi est animée par la convoitise, quoi qu’il en soit de la vérité de sa plaidoirie initiale. En ce sens, le fait que les deux affirmations du verset 22 se répondent en miroir tend à indiquer que les deux femmes, en somme, sont le reflet l’une de l’autre en ce qu’elles laissent parler en elles le seul instinct de possession.

La tâche du roi consistera précisément à tenter de sortir de la confusion en faisant parler le désir de vie de la vraie mère.

Dialogue avec le roi (v. 23‑27)

Au point où nous en sommes, rien ne permet de distinguer les deux femmes : ni la brève évocation de la situation, ni les paroles prononcées par les plaignantes, ni la manière dont elles se comportent, ni même le fond de leur attitude. C’est ce que le roi constate lorsqu’il oppose littéralement ce que dit « celle-ci » et ce que dit « celle-ci » (v. 23 : « Celle-ci dit… ; et celle-ci dit… ») : l’une ou l’autre, à ses yeux, c’est du pareil au même.

Aussi, lorsqu’il interrompt le chassé-croisé entre les femmes, le roi en est-il réduit à répéter leurs paroles mot à mot, signifiant ainsi l’abîme de perplexité où le plonge la situation – un sentiment que partage le lecteur. Mais en même temps, en reprenant les mots des femmes, il souligne qu’il sait que l’une des deux ment et que, donc, il lui incombe de faire la vérité.

La perplexité du roi porte la tension à son maximum, dans le tribunal comme chez le lecteur, car elle souligne que le juge ne semble entrevoir aucune issue. C’est alors qu’il demande une épée, manifestant ainsi sa volonté de trancher (v. 24a). En quel sens, on l’ignore encore. Il faut attendre que l’épée soit amenée devant lui (v. 24b) et que soit alors prononcée la sentence. En réalité, il ne s’agit pas d’une sentence, qui consisterait à désigner la coupable. Il s’agit plutôt d’un ordre : « trancher » l’enfant vivant et en « donner » une moitié à chaque femme.

Ce qui amène le roi à prendre cette décision inattendue n’apparaît pas sur-le-champ, et plusieurs interprétations sont possibles. La première qui vient à l’esprit est aussi la plus courante.

Elle voit dans l’ordre royal un signe de la sagesse que le jeune monarque vient à peine de recevoir, suite au songe qu’il a fait à Gabaon (1 R 3,4‑15). Avec une rare finesse, celui-ci ruse de manière à obliger les femmes à se dévoiler. En élaborant son stratagème, il table sur l’attitude prévisible de la vraie mère qui ne pourra souffrir la mort de son enfant.Dans ce cas, la cruauté est feinte, et cette attitude, mensongère en elle-même, est destinée en réalité à démasquer le mensonge.

La deuxième interprétation est à l’opposé de la première, mais elle s’inscrit également sur l’arrière-fond de ce qui précède, bien que, cette fois, ce soit dans la ligne des événements racontés au chapitre précédent (1 R 2). Là, à trois reprises, une parole autoritaire de Salomon décrète la mort violente d’adversaires : Adonias, Joab et Shiméi, (2,23‑25 ; 31‑34 et 44‑46).

Aussi, en entendant l’ordre de trancher, le lecteur frissonne à la pensée que le rêve de Gabaon pourrait avoir été pure illusion et que cet ordre est le signe d’une justice inique opposée à la fonction de la justice qui est de dire le droit pour que la vie soit sauve (Ps 72,12‑14).

Avec Wim Beuken, il faut envisager une possibilité intermédiaire. Dans l’impasse où le mènent les deux femmes, le roi est déterminé malgré tout à rendre la justice, ne serait-ce que pour sauver sa réputation. En l’absence d’éléments probants, celui-ci choisit la solution qui reste : celle d’une justice purement distributive, au risque de donner raison à l’adage latin : Summum ius summa iniuria.

Dans ce cas, si sa décision ne manque pas d’audace, elle a un aspect pour le moins sommaire, puisque le roi ne prend pas le temps de recourir aux procédures normales d’une enquête, qu’il estime sans doute désespérément vouée à l’échec.

Il faut reconnaître qu’en l’absence d’indication dans le récit, le lecteur ne peut, pour l’instant, exclure aucune de ces trois hypothèses. Il n’en reste pas moins vrai que, volontairement ou non, cette décision royale rencontre un aspect fondamental de la situation qu’il s’agit de trancher. En effet, en ordonnant de couper l’enfant en deux, le roi montre ce que signifie concrètement pour l’enfant l’attitude revendicatrice des deux femmes.

La confusion, qui résulte bien sûr du mensonge de l’une mais aussi de l’avidité des deux, soumet l’enfant à un déchirement mortel que l’épée symbolise en la visualisant. Au fond, consciemment ou non, le roi ne fait que montrer aux femmes ce sur quoi débouche leur jeu pervers, dans la mesure où sa décision prolonge « la symétrie des doubles » dans « l’égalité absolue de traitement entre les deux femmes » (R. Girard)2.

Ainsi donc, la parole du roi a le mérite de dévoiler avec une grande netteté l’enjeu réel de la situation : il en va ni plus ni moins de la vie de l’enfant, donc de l’avenir de la vie prise au piège de la mort parce que convoitise et mensonge l’entraînent dans leur confusion.

Écartelé entre ces deux femmes qui se l’arrachent, l’enfant vivant est, tout comme le premier, victime d’une violence inouïe. Et c’est ce que l’ordre du roi donne à voir.

Cette parole va se révéler plus tranchante que l’épée. En séparant ce que l’épée ne peut séparer – le mensonge et la vérité –, elle fait en sorte que vienne « au grand jour la position de chacune des deux femmes par rapport au discours “maternel” qu’elles tiennent ». Elle donne lieu chez les femmes à des réactions diamétralement opposées, puisque l’une est pour la vie du fils et l’autre pour sa mort. Du reste, de manière symptomatique, chacune reprend dans sa réaction l’un des deux verbes que le roi utilise en formulant son ordre. «Tranchez… et donnez », disait-il. Et la mère de dire : « donnez », avant que l’autre ne répète l’ordre initial : « tranchez » (v. 26).

Il faut reprendre chaque repartie et l’examiner de plus près. Chose exceptionnelle dans cet épisode, l’introduction de la première réaction désigne celle qui va parler comme « la femme dont l’enfant est le vivant ». Ensuite, l’émotion violente qui pousse la femme à parler est explicitée pour le lecteur : littéralement, « ses entrailles étaient chaudes au sujet de son fils ».

Ainsi, lorsque la décision royale met en évidence que son attitude est en train de conduire son enfant à la mort, l’émoi saisit la mère au lieu même où son fils a pris vie1, ce qui détermine sa volte-face et la décide à cesser le conflit. Ainsi, pour la première fois, une des deux femmes délaisse le langage de la convoitise et de la possession pour parler le langage du don.

Plutôt que de revendiquer l’enfant vivant pour elle-même, elle le donne à l’autre. Elle ne désigne plus le bébé comme auparavant. Cessant de l’appeler « mon fils » ou « l’enfant », elle le nomme « l’enfanté » (hayyâlûd), c’est-à-dire celui qui est né, qui s’est détaché de sa mère et qu’elle ne possède donc plus. Enfin, en suppliant le roi de révoquer son ordre inhumain, loin de reprendre le langage distant et sans cœur de celui-ci (« trancher »), elle parle clairement de mort. En insistant ainsi sur le « faire mourir », elle montre qu’elle voit avant tout le résultat tragique du verdict royal : la mort de l’enfant. Or c’est ce qu’elle veut à tout prix éviter, dût-elle pour cela renoncer à jamais à son fils. Ainsi, « tandis qu’elle donne son fils à l’autre femme, en réalité, elle lui offre de vivre ».

Sa concurrente, en revanche, est appelée « celle-ci », comme au verset 23, signe que sa position n’a pas changé. Elle se contente de répéter le premier mot du roi, espérant peut-être mettre le juge de son côté. Mais avant cela, elle explicite sa logique : celle d’une justice égalitaire froide et insensible : « ni à moi, ni à toi, il ne sera ». On notera que le verbe « être » au futur est nié dans ses paroles. La femme préfère donc que l’enfant ne soit pas, n’ait pas de futur.

A-t‑elle seulement entendu la mère lui donner son enfant ? Il semblerait que non, car elle poursuit son idée : que l’enfant de l’autre meure avec le sien, et que sa rivale soit comme elle, à pleurer son fils. En parlant de la sorte, cette femme se trahit. À présent, apparaît clairement ce qui la meut : l’envie ou la jalousie. Comme le dit Girard, « la seule chose qui compte pour elle, c’est de posséder ce que l’autre possède », acceptant, « à la rigueur, d’en être privée pourvu que son adversaire en soit également privée ».

Mais comment pourrait-elle être la mère, elle qui ne veut pas que l’enfant vive ? Et si elle répète froidement le « tranchez » du roi, c’est qu’elle n’envisage pas l’horrible conséquence d’un tel ordre.

Ainsi donc, comme le suggère Stuart Lasine, l’ordre du roi amène paradoxalement chacune des deux femmes à poser une requête contraire à celle qu’elles présentaient au début, à savoir la possession de l’enfant vivant. La première y renonce, préférant le donner plutôt que de le voir mourir ; l’autre réclame sa mort plutôt que de devoir le céder à sa rivale. Ici, la vérité éclate et le miroir des apparences vole en éclats de lumière.

Pour le coup, l’opposition est on ne peut plus « tranchée ». Parce qu’elle se montre viscéralement attachée à la vie de son fils, la mère permet que l’ordre du roi, si cruel à première vue, libère ce qu’il contenait de sagesse, que le roi l’ait voulu ou non. Et cette façon de tromper la mort par amour de la vie fait de cette femme une maîtresse de sagesse. Le roi le reconnaît lorsqu’il conclut l’affaire en donnant l’enfant vivant à celle qu’à ses paroles, il reconnaît comme la « mère ». À vrai dire, ce n’est pas sans une certaine ironie vis-à-vis de la prétendue mère qu’il formule cette sentence. Car lorsqu’il dit : « Donnez à elle l’enfanté vivant, mais ne le faites pas mourir », il semble désigner comme bénéficiaire la femme qui vient à peine de parler.

D’ailleurs, en répétant mot pour mot la parole de la « femme dont l’enfant était le vivant », le roi renforce l’impression qu’il entérine ce qu’a dit la mère, et qu’il demande donc qu’on accède à sa requête de donner l’enfant à l’autre. Mais ses quatre derniers mots – « celle-là est sa mère » – brisent l’espoir que les premiers ont pu éveiller chez la femme envieuse. Car à l’aide d’un pronom démonstratif, le roi désigne sans ambiguïté la première femme, celle qui a réagi à sa parole de mort par un geste de don, d’un don de vie (« celle-là »).

C’est bien à celle qui a préféré donner son fils pour qu’il vive que l’enfant est donné vivant. Dès lors, si le roi cite la mère, c’est pour retourner à son avantage les paroles de don qu’elle a prononcées en faveur de l’autre femme. C’est là un signe supplémentaire de la sagesse qui habite le roi au moment où il prononce la sentence définitive. Le mot « sa mère » est donc le dernier que le roi prononce.
Ce n’est sans doute pas un hasard. Car après tout, c’est bien là la vérité qu’il s’agissait d’établir. Mais en la proclamant enfin

au terme du récit, le roi définit par le fait même ce qu’est une mère : une femme qui laisse toute forme de convoitise envers un fils pour ne pas l’étouffer, qui renonce à traiter un enfant comme un objet de possession, qui est prête à le laisser aller pour qu’il soit à une autre. Or, en désignant ainsi d’une parole celle qui est la mère, le roi n’assume-t‑il pas une fonction paternelle, en ce qu’il donne à une femme d’être mère en vérité, et à un enfant de pouvoir vivre ?

Mais il a fallu pour cela une parole tranchante qui sépare le fils de sa mère. Sans une telle parole, l’amour maternel serait resté convoitise, étreinte et risque d’asphyxie. Par cette parole, au moment même où ce fils est séparé de sa mère, il est aussi donné à celle qui l’enfante pour qu’il vive.

Conclusion (v. 28)

La conclusion introduit un nouveau personnage, « tout Israël ». En apprenant le jugement du roi, le peuple reconnaît la marque de sa sagesse (v. 28). Celle-ci, en effet, se manifeste indubitablement dans le verdict prononcé. De plus, cet acte inspire la crainte que l’on éprouve devant ce qui est associé au divin.

Car c’est bien la sagesse de Dieu qui transparaît dans la justice dont fait preuve le cœur de ce roi. Mais de quoi est-elle faite, si elle se révèle dans un tel jugement ? En quoi peut-elle être dite « de Dieu » ? Dans le récit, elle consiste essentiellement à transformer un lieu de mort en lieu de vie, à l’image du créateur que présente la première page de la Bible (Gn 1). Pour permettre la vie, celui-ci ne commence-t‑il pas par séparer les éléments du chaos, mettant chaque chose à sa place et donnant un nom à ce qu’il a ainsi distingué ? Le roi ne fait rien d’autre, en vérité. Et sa réponse à la mère (v. 27) apparaît à cette lumière comme parole créatrice venant de la bouche d’un père.

Dans ces conditions, la sagesse se révèle précisément comme un savoir-faire, ce qui est le sens premier du mot hébreu hokmâh, un art de mettre un terme au chaos qu’engendrent l’envie et le mensonge, tout en maniant ceux-ci avec à-propos ; un art aussi de percer le voile des apparences pour que le vrai puisse venir au jour. Il s’agit donc de ruser avec le mal et la mort, ainsi qu’avec leurs instruments que sont la convoitise et le mensonge, pour tourner le mal en bien : tourner l’envie en ouverture au don, le mensonge en vérité, et la mort en vie.

Comme le dit le proverbe, « l’instruction du sage est source de vie : elle détourne des pièges de la mort » (Pr 13,14).

Mais il reste un problème concernant la sagesse du roi. On s’en souvient. Si l’ordre « tranchant » du verset 25 pouvait émaner de sa sagesse, il n’était pas impossible qu’il soit plutôt signe de sa cruauté, ou du moins de son désir de ne pas être mis en échec comme juge, et donc de trancher dans le vif. Sa seconde décision (v. 27) vient en tout cas corriger la première, non sans finesse d’ailleurs, et elle témoigne, quant à elle, d’une sagesse indéniable.

Dès lors la question est la suivante : le roi était-il sage auparavant, par la seule grâce du don divin ? Ou est-ce la femme qui, en prenant résolument la défense de la vie, a donné au roi une leçon de sagesse, le contraignant à revoir sa position ? Serait-ce elle qui, en quelque sorte, a activé chez le roi le don reçu, lui permettant de trouver la sagesse de rendre un juste verdict ? Est-ce en écoutant la femme, puis en suivant « son coeur qui écoute », qu’il a pu « discerner entre bien et mal » (voir v. 9) ?

Certes, aux yeux du peuple, seul le roi compte et c’est lui qui est perçu comme le réceptacle de la sagesse de Dieu. Dès lors, si c’est la femme qui l’a éveillé à la sagesse, le peuple ne peut le reconnaître. Et c’est là, à mes yeux, une raison suffisante pour ne pas épouser sans plus son point de vue sur l’affaire. Car Israël semble ne pas avoir entendu parler de la femme. Aussi ne peut-il même pas se poser la question de savoir d’où le roi tient sa sagesse. Le lecteur, en revanche, se la pose, bien que le récit ne fournisse même pas l’ébauche d’une réponse.

Il n’est pas à exclure dès lors, que ce flou soit voulu, de façon à amorcer un thème narratif de l’histoire de Salomon. En raison de l’indécision qui caractérise son issue, cet épisode inaugural du jugement pourrait suggérer d’emblée que la sagesse n’est pas simplement un don que le monarque a reçu une fois pour toutes et qui l’habite sans plus. Au contraire, elle constituerait plutôt un défi, au sens où il faut que le cœur du roi soit à l’écoute, comme il l’est ici, pour que la sagesse de Dieu puisse être effective et opérer en lui. Le devenir de ce don de la sagesse serait donc suspendu à cette question : qui, ou peut-être, quelle femme le cœur du roi écoutera-t‑il ?

André Wénin, bibliste, enseigne à l’Université catholique de Louvain et à la Grégorienne de Rome

Source : https://www.la-croix.com/Abonnes/Formation-biblique/Ancien-Testament/Le-jugement-de-Salomon-explique

Le jugement de Salomon et le jugement dernier

Atelier « Lieux de justice ». Compte rendu du cercle de conversation conclusif de cette journée de rencontres et d’échange

TEXTE PDF ATELIER DE JUSTICE

Maison de quartier des Pâquis, 27 avril 2024
Lieux et associations visitées: l’Espace quartier des Pâquis, le Café Teflon de Carrefour rue,
le Café Cornavin, la Maison de quartier des Pâquis, les Visiteurs de prison, le Poste de police
des Pâquis, l’Université Ouvrière de Genève, la Librairie de l’Olivier.

Compte rendu du cercle de conversation conclusif
de cette journée de rencontres et d’échange

Le texte qui suit est un compte rendu des propos échangés dans le cercle de conversation
conduit par Alain Simonin. Après une journée « d’enquête » dans les quartiers des Pâquis et
des Grottes, à Genève, la quinzaine de participants et participantes a échangé ses impressions
après une série de rencontres différentes du point de vue d’une quête de justice au niveau du
quotidien. Il s’agissait de recueillir le témoignage de personnes ayant vécu une expérience de
l’injustice et de la justice, en écho au récit du Jugement de Salomon, où deux femmes prostituées
font dans ce domaine une expérience inédite. La « conversation » a consisté à initier un
dialogue entre deux « conversants », échangeant au centre d’un cercle de chaises, non pas des
opinions ou le récit neutre des propos entendus lors de cette journée, mais de faire part d’un
ressenti personnel. Au fur et à mesure de la conversation, les « écoutants », à l’extérieur du
cercle, se sont joints aux « conversants » pour entrer en résonnance avec les paroles
prononcées au centre du cercle. Un « scribe », resté à l’extérieur, a pris note des échanges
pour restituer, à la suite de cette conversation, ce qu’il avait entendu.
Le résultat est donc l’écho d’expériences subjectives, enrichies par l’interaction. Mettant par
écrit ces riches échanges, pour en conserver le souvenir, nous y apportons quelques
modifications. D’abord, en restituant les interventions, non pas dans l’ordre chronologique,
mais en retraçant des lignes de forces de la discussion, en préservant l’anonymat des personnes
participantes, enfin en ajoutant quelques impressions entendues auprès de participants qui,
ayant accompagné notre parcours, n’ont pas pu assister à la dernière étape.

Les organisateurs : Léa Assir, Thomas Blanchot,
Blaise Extermann (scribe), Alain Simonin (animateur)

La question de la justice n’apparaît de prime abord, dans nos échanges. Ce sont d’abord des
rencontres concrètes, émouvantes, dont rendent compte les participants tour à tour. Du reste,
après nos explications introductives, les unes et les autres personnes rencontrées ont reformulé
la question : « La justice ? Je ne sais pas ce que c’est. C’est trop abstrait. Moi, je vis des
situations, des rencontres ». « L’injustice ? Oui, je vois des jeunes dans le tram qui ont l’air
d’en souffrir » puis elle passe et nous raconte l’histoire réussie de son intégration à Genève,
avec un regard chaleureux qui semble nous interroger en retour : « Qu’est-ce que vous cherchez,
au juste ? »

Nos récits relatent, bien sûr, les propos entendus chez les personnes rencontrées, les sourires
voire les rires (« si on ne peut plus rire, on est foutu ! »), le regard qui s’illumine, parfois, chez
des personnes reconnaissantes de l’écoute et de l’intérêt que nous leur accordons – le sentiment
renforcé de leur dignité (une forme de justice). Nos récits disent aussi l’émotion d’une
« première fois » : la première rencontre en personne avec un ancien détenu et la charge
d’humanité qu’y en ressort (« ça m’a enlevé mes préjugés »). Chacune et chacun de ceux que
nous avons écoutés a été nommé par son prénom : des personnes à part entière, bien davantage
que des cas, des situations ou des qualificatifs stigmatisants – homme et femme de la rue,
immigrés, ancien toxicomane …, alors même que nous n’avons recueilli que des bribes de leur
histoire. Comme celle de cet homme bien établi qui, abandonné par sa femme, sombre dans la
dépression et perd tous ses repères matériels et sociaux pour se retrouver sans travail et sans
abri.

Nous avons découvert également des professionnels qui exercent une forme de justice par leur
soutien indéfectible à l’égard des personnes vulnérables. Un animateur qui sait adresser un mot
juste qui fait mouche, dans nos échanges (« Sachez que vous avez des droits ») et qui illumine
de la sorte le regard de son interlocutrice ; deux travailleurs sociaux, anciens étudiants HETS,
qui rendent possibles nos rencontres avec des personnes sans domicile fixe (« ils font un travail
remarquable »); le policier qui nous fait part de ses dilemmes lorsqu’il lui faut arrêter et
sanctionner « un sans-papier », parce que la loi le veut – violence institutionnelle. Pourtant, cet
homme a choisi la police comme second métier, par empathie, par désir de rencontrer des gens.
Et il persiste. Il y a d’autre part ce libraire qui initie un mouvement de « justice citoyenne »
dans son quartier, car la police se fait déborder par un groupe de malfaiteurs qui exercent leur
mainmise en ces lieux et la peur s’installe. Ou encore, un travailleur social passé lui-même par
la migration qui nous rappelle l’étrangeté de nos pratiques (ces nettoyeuses qui aspergent des
trottoirs propres avec de l’eau potable), mais nous révèle d’autre part la communauté inattendue
de nos coutumes que nous pensions des plus locales (masques du Burkina Faso, masques
d’Appenzell) et la solidarité rendue ainsi possible : « le travail social, c’est dans le fond le
prolongement de l’anthropologie ».

Le professionnel, nous l’avons retrouvé sous un jour négatif, aussi : une demi-douzaine de
policiers qui s’adonnent à une fouille de corps en pleine rue, fouille sans retenue, humiliation
des attouchements. C’est l’expert qui bombarde le prévenu de questions méfiantes, cherchant à
le prendre à défaut, alors qu’est en jeu un allègement de peine de plusieurs années. Les experts,
ils ont leur réputation, bonne ou mauvaise, qui circule parmi les prisonniers. Et l’on peut mal
tomber… Et pourquoi tel requérant obtient-il l’asile et l’autre pas ? demande l’un de nous qui
les avait accompagnés et qui connaissait leurs dossiers à tous deux. Sentiment d’arbitraire.
L’injustice cachée, c’est enfin le regard des autres, le nôtre, dans la société, ce tribunal populaire
qui prononce des jugements a priori, et donne des peines « à perpétuité », pour ainsi dire, tant
il est difficile de s’en détacher, lorsque l’image de détenu vous colle à la peau – ou à celle de
votre fils, y compris devant ses anciens amis (« mais je suis humain… » s’indignait-il). Par
comparaison, il apparaît sain à l’un d’entre nous qu’intervienne une justice institutionnalisée,
capable – au moins potentiellement – d’exercer le droit et de prononcer des peines
rationnellement, proportionnellement. La solidarité entre gens du milieu permet-elle de se
protéger des regards stigmatisants ? Plusieurs de nos témoignages font état au contraire d’une
solitude, parfois subie, mais parfois choisie, pour se protéger, quitte à n’avoir plus aucune
relation avec les autres. « Je me suis blindé !».
Que conclure, au terme de nos échanges ? Beaucoup de nos entretiens nous ont laissé un
sentiment d’impuissance. Justice, injustice, et puis … ? Pourtant, un enjeu essentiel est apparu
dans le récit de nos expériences : quand l’occasion d’une vraie rencontre nous est donnée ou
lorsque nous la provoquons, elle nous permet de retrouver une part d’humanité et de dignité et
de la partager avec les plus démunis et avec ceux qui sont leur soutien au quotidien. Et cette
bonne « part de justice » nous l’avons découverte comme accessible, simple, prometteuse.
N’était-ce pas la grande réussite de cette journée de rencontre !

Témoignage d'un prisonnier

Le texte du jugement de Salomon me concerne dans le sentiment de vivre un procès où un juge va prononcer une sentence sur un problème que j’ai et où l’angoisse, le stress et la douleur envahissent mes pensées. Je m’identifie donc au sentiment du tribunal, de l’oppression imposée, de la souffrance de l’impuissance.

Dans cette histoire, je suis ému par le drame général de tout ce qui s’est passé, chaque partie de chaque personnage est dans une situation très difficile. Il est vrai que le pire est subi par la mère de l’enfant mort, donc ce qui me touche le plus, c’est la perte de vie.

J’ai toujours eu le sentiment de ne pas être vu ou entendu, mais je considère que c’est un élément naturel et normal de la coexistence sociale. Psychologiquement, chacun s’occupe de ses propres intérêts, pour le meilleur et pour le pire.

La prison m’a permis de sortir de cette invisibilité, de trouver ma place et de retrouver ma dignité. Quand je vivais en liberté, je me donnais l’air d’avoir des bijoux, de l’argent, de belles voitures, mais à l’intérieur, j’étais invisible à moi-même et je ne ressentais rien. J’étais vide. Le vice, l’impudence et la naïveté de vivre une fausse vie loin de toute éthique ou morale, se traduisaient en moi par un sentiment de misère et, bien sûr, par une absence de dignité. Mais depuis un an que je suis en prison, que je lutte et que je mets en pratique une série de travaux personnels, ainsi que des attitudes productives qui m’enrichissent, je sens que peu à peu ma vie change. Grâce à mes efforts, à mon engagement et à ma loyauté envers moi-même pour changer et m’améliorer, je retrouve ma dignité, je me rends visible à moi-même et je me retrouve dans un endroit où je me sens très bien et d’où je n’ai pas besoin de m’échapper.

Les mots peuvent être très importants dans la vie et la réflexion d’une personne, surtout lorsque le message qu’ils portent est un message de motivation, d’enseignement ou d’amour, mais dans mon cas, plus que les mots, ce sont les faits qui me ramènent à un chemin, à un avenir et à une illusion. « Facta non verba », des actes et non des mots, telle est désormais ma devise.

Lorsque j’entends parler de justice et de vérité, sur le plan émotionnel, je ressens de la peur, de l’admiration, du respect, de la considération, et d’un autre côté, en tant que criminel, je ressens de l’impuissance, de la rage, de l’embarras, de l’insécurité, de la déception, de la tristesse. En général, la douleur et la souffrance.

Dieu s’est rendu présent dans ces situations de ma vie comme une représentation divine, qui nourrit ma vie de foi et d’espoir que tout peut changer pour le mieux avec l’aide de Dieu et en suivant sa Parole.

La vie sera toujours pleine d’injustices, et c’est pourquoi nous vivons avec elles. Personnellement, la technique que j’utilise pour les combattre est l’acceptation. Il y a parfois des choses que l’on ne peut pas contrôler soi-même. C’est pourquoi il m’est très difficile de me faire frapper et de tomber seul, et je n’ai toujours rien d’autre à faire que de me relever et de continuer à marcher.

La question que je voudrais poser aux personnes qui m’écoutent en ce moment est la suivante :

La vie est une, et sur les deux jours que tu as, il y en a un qui est pluvieux, qu’est-ce que tu vas en faire ? Dieu pardonne, mais il n’épargne le temps de personne.

Témoignage d'une requérante d'asile

Bonjour,

Je m’appelle Fidelina NDUNGI, et je viens de l’Angola, je suis requérants d’asile avec une demandes d’asile multiples, je suis en suisse depuis 2016 je un livret N, je parle portugais, français et un peu d’anglais

Je voulais vous parlez un peu de mon parcoure de vie partielle Il ressemble un peu a l’une de femme qui se présentent devant Salomon.

Depuis que je suis ici à genève je l’impression que je m’ais bas toute seul avant cela je cherche d’aide un peu partout la réponse était je ne pas le droit a cause de mon statut et pourtant pour mon intégration je mes suis inscrire pour travaille à la crèche comme aide à la crèche mais par ma surprisse je me suis prise comme responsable de tout le matin pour accueille des enfant durant 2ans et j’étais payer 50 par mois , après je chercher a faire de formation à l’aide de chèque annuel je commencer à voie F, la formation de l’informatique de 3mois, formation de Aide à domicile au CAMARADA de Carouge de 3mois, Communication, raisonnement et logique de 3mois à Voie F et maintenant je fais le Bilan de compétent et le projet professionnel de 6mois ,je fait 2 semaine de stage dans la domaine de la restauration, j’étais embauchée pour travaille comme vendeuse ,L’OCPM refuse de mes donné l’autorisation du travail, encore comme femme de chambre

A un moment je vue comme ci mes effort que je fournir s’aboutir a rien ,comme ci je n’existe pas ,comme ci je cris dans le vide mais par contraire tous se que je fait c’est dans le norme d’être un citoyen suisse

A l’aide de virginie elle as écrit plusieurs fois à L’OCPM mais leur réponse étais sur l’art. 42

Mais je sais une chose le Roi Salomon avait bien jugé

Moi je garde la foi en JESUS qui m’accompagne , la persévérance et me soutient.

Et j’espère que L’OCPM saura m’entendre et bien juger, comme l’a fait Salomon